Particulièrement silencieuses lorsqu’il s’agissait de plomber les finances publiques en trouvant des milliards pour sauver les banques, les entreprises et l’économie capitaliste, les agences de notation sont de retour… et, avec elles, les appels à l’austérité.
Les propos des 46 économistes qui ont récemment publié une carte blanche mettant en garde sur la situation alarmante de nos finances publiques
[1] ont ensuite été appuyés tour à tour par le gouverneur de la BNB, qui indique que «
tout converge pour dire que c’est le bon moment pour réaliser un gros effort budgétaire » ; par la secrétaire d’Etat au budget qui affirme que «
le problème de l’Etat, ce sont les dépenses » ; et par le président du MR qui, tout en nuance, prédit la faillite de la Belgique sans nouvelles réformes libérales.
Qui est réellement en faillite ?
S’il y a une faillite, bien réelle aujourd’hui, c’est celle du monde de la finance, qui met à nouveau nos sociétés au bord d’une crise de grande ampleur, avec des conséquences sociales et économiques désastreuses. Cette faillite était prévisible et prévue. Elle est le résultat logique de politiques qui ont permis aux détenteurs de capitaux de continuer leurs pratiques spéculatives à grande échelle.
Viser à réduire le poids de la dette et les déficits publics sont des objectifs importants… ne fût-ce que pour en finir avec la prise d’otage des marchés financiers et le chantage à l’austérité avant chaque conclave budgétaire.
Mais en 2023 on ne peut plus accepter, ni même concevoir, que les solutions proposées pour s’attaquer à l’endettement public soient systématiquement ciblées sur la population et les services publics, impliquant une régression sociale, environnementale et démocratique. Comme si la majorité du corps social, et en particulier les femmes, ne subissaient pas déjà l’austérité en permanence depuis des années.
Il faut toujours se rappeler que c’est en 2008-2009, pour sauver les banques, que notre endettement public a explosé, passant de 85% à 100% du PIB, puis, suite à la crise COVID, pour sauver les entreprises et l’économie, qu’il est passé de 100% à 115%.
Fallait-il agir en 2008 et en 2020 ? Oui, bien sûr ! Mais il fallait le faire de manière radicalement différente, c’est-à-dire en créant les conditions pour ne plus revivre pareille situation, notamment en reprenant le contrôle de la finance pour la mettre au service de l’intérêt général. Force est de constater que rien de sérieux n’a été mis en œuvre à ce niveau. La logique d’accumulation et la spéculation se sont poursuivies, et aujourd’hui, alors que de nouvelles bulles explosent, certains voudraient à nouveau faire payer l’addition à la collectivité.
Aux origines de l’inflation : la spéculation
La logique est la même en ce qui concerne la situation inflationniste persistante. Il faut la traiter, mais en s’attaquant à ses causes sous-jacentes, comme la spéculation. Pas en tentant de saper l’indexation des salaires, qui n’en est qu’une résultante… Une résultante par ailleurs indispensable au maintien de la consommation intérieure, comme l’a encore récemment montré un rapport de la Banque nationale.
Au début de la guerre en Ukraine, ce ne sont pas moins de 26 millions de transactions financières supplémentaires qui ont été enregistrées sur les bourses mondiales des produits agricoles. Ces échanges purement spéculatifs ont entraîné à eux seuls plus de 40% d’inflation
[2]. Comme de nombreuses études l’ont montré, c’est bien la spirale profit-prix, et non la spirale salaire-prix, qui est le moteur de l’inflation actuelle.
Oui, il faut réformer le système, sans plus attendre. Mais pour changer de cap, et non pas, à l’image de ce qui se passe chez Delhaize, pour accélérer la course folle au moins-disant social et environnemental.
Prendre le mal à la racine
Si la volonté est d’améliorer la vie des gens en recréant des équilibres entre développement économique, bien-être social et respect de l’environnement, c’est à l’origine des problèmes qu’il faut s’attaquer.
Commençons par la dette publique… Nous avons plus que jamais besoin d’un débat adulte sur la manière d’évaluer la soutenabilité des finances publiques, au-delà de slogans simplistes sur le niveau trop élevé de la dette ou du déficit. La manière dont le déficit peut soutenir l’activité économique et s’autofinancer (multiplicateurs budgétaires), ou encore le rôle des banques centrales dans le financement des Etats, ces leviers doivent être analysés sérieusement. Par ailleurs, nombreux sont les arguments justifiant que nos créanciers – les grandes banques – contribuent, eux aussi, à l’effort commun en allégeant la dette des États. Nous avons également besoin d’un véritable secteur bancaire public, remplissant des missions de service public, et se mettant prioritairement au service d’Objectifs de Développement durable d’intérêt général plutôt que d’intérêts particuliers. Il convient par ailleurs d’obtenir de la Commission européenne une neutralisation des investissements durables dans la comptabilisation des déficits publics. Les investissements publics nécessaires, notamment en matière de santé et de climat, sont considérables et ne pourront être effectués sans rompre avec les règles actuelles.
Prenons ensuite l’inflation : attaquons-nous à la spéculation en ciblant tous les « profiteurs de guerre », notamment dans les secteurs de l’énergie et de l’alimentation. Et régulons enfin le marché des produits financiers dérivés, totalement déconnectés de toute réalité !
Enfin, comment ne pas évoquer le fameux « taux d’emploi », au centre de toutes les attentions politiques du moment ? Il faut évidemment développer et créer de l’emploi… Mais des emplois durables et de qualité. C’est en améliorant les conditions de travail et de rémunération, en redonnant sens au travail et en améliorant la conciliation vie privée/vie professionnelle, que l’on gardera les gens au travail, en bonne santé, et qu’on en facilitera l’accès à celles et ceux qui en sont privés. La réduction collective du temps de travail, avec embauche compensatoire et maintien du salaire, est la solution d’avenir. Une mesure juste, durable et porteuse de progrès social
[3].
La question qu’il conviendrait toujours de se poser lorsque l’on propose des réformes, c’est de savoir si ces réformes contribuent à réduire ou à creuser les inégalités. Une réforme fiscale basée sur la justice est une question clé pour réduire les inégalités. Les solutions sont là : globalisation des revenus, renforcement de la progressivité de l’impôt, taxation des plus-values boursières et des surprofits, impôt sur la fortune, lutte contre la fraude et l’évasion fiscales… Ces quelques mesures fortes suffiraient à rapporter des dizaines de milliards d’euros chaque année pour financer le développement humain, participer à équilibrer le budget et réduire notre dépendance aux marchés financiers.
Concrétiser ce changement de cap et avancer vers la justice sociale est à portée de main et essentiel pour défendre nos démocraties, repenser l’économie et nous permettre, comme l’écrivait Georges Orwell dans « 1984 », non seulement de rester vivants, mais aussi et surtout de rester humains.
[1] Un collectif d’économistes prévient : « Nos finances publiques sont insoutenables », L’Echo, 17 mars 2023.
[2] La spéculation boursière sur les céréales a contribué à la hausse des prix de nos courses, Simon Bourgeois, Maurizio Sadutto, RTBF, 20 février 2023.
[3] Cf. les résultats de l’enquête du
think tank anglais Autonomy sur la semaine de 4 jours :
https://autonomy.work/portfolio/uk4dwpilotresults/
Nicolas Bárdos-Féltoronyi, professeur émérite UCL
Bruno Bauraind, Secrétaire général GRESEA
Thomas Bauwens, Université de Rotterdam
Olivier Bonfond, économiste CCEF
Stephen Bouquin, Université Evry Paris-Saclay
Anne-Sophie Bouvy, UCLouvain
Eric Corijn, professeur VUB
Sybille Mertens de Wilmars, professeure ULiège
Andrea Della Vecchia, Secrétaire fédéral CG-FGTB
Jean-Luc De Meulemeester, professeur ULB
Giuseppina Desimone, conseillère Service d’études FGTB fédérale
Thomas Di Panfilo, politologue
Xavier Dupret, économiste-analyste à l’ACJJ
Michel Genet, économiste, directeur d’ONG
Pierre Galand, économiste, professeur ULB
Nadine Gouzée, experte Agenda 2030 pour le développement durable
Benjamin Huybrechts, professeur IESEG Lille
Paul Jorion, professeur associé à l’Université catholique de Lille
Renaud Keutgen, coordinateur du RATaV
Louise Lambert, économiste au MOC
Florence Lanzi, PhD, Senior Researcher ULiège
Nicolas Latteur, formateur CEPAG
Etienne Lebeau, Service d’études CSCx
Olivier Malay, ULB et CSC
Kevin Maréchal, professeur d’économie écologique, ULiège
François Martin, chercheur doctorant, ULiège
Esteban Martinez Garcia, professeur à l’ULB
Christine Pagnoulle, ULiège, Attac
Nancy Pauwels, Service d’études ACV Puls
Riccardo Petrella, professeur émérite UCLouvain
Laurent Pirnay, Secrétaire général adjoint IRW-CGSP
Gauthier Pirotte, ULiège, coopération internationale
Bruno Poncelet, formateur CEPAG
Daniel Richard, Secrétaire régional FGTB Verviers
Ahmed Ryadi, Secrétaire régional FGTB Centre
Zoé Rongé, économiste FGTB
François Sana, conseiller Service d’études CSC
Christian Savestre, Attac
Denis Stokkink, Président du think and do tank Pour la Solidarité.
Jean-François Tamellini, Secrétaire général FGTB wallonne
Eric Toussaint, porte-parole CADTM international
Frank Vanaerschot, Directeur Counter Balance
Pauline Van Cutsem, CNE
Lars Vande Keybus, conseiller Service d’études ABVV fédérale
Christian Vandermotten, professeur ULB
Jean Vandewattyne, enseignant-chercheur UMons
Julien Vastenaekels, ULB
Lode Vanoost, ancien vice-président de la Chambre des Représentants
Michaël Venturi, Secrétaire général adjoint MWB-FGTB
Pierre Verjans, ULiège
Virginie Xhauflair, Docteure en gestion, professeure ULiège
Arnaud Zacharie, Secrétaire général du CNCD