Jacquemotte dans Le Monde
Ce 12 juillet 2021, le quotidien « Le Monde » publiait cette tribune de notre collègue Xavier Dupret intitulée « Les marges de manœuvre de l’administration Biden face à Pékin pourraient se réduire sensiblement ». En voici le texte:
C’est peu dire que l’ambiance n’est plus au beau fixe entre Washington et Pékin. Depuis la rencontre houleuse d’Anchorage en mars, les choses semblent limpides. L’heure est aux sujets qui fâchent et le dernier sommet de l’OTAN n’a fait qu’accentuer les tensions. Joe Biden pourrait, néanmoins, être contraint à revenir dans les mois qui viennent à davantage de coopération avec le gouvernement chinois. En cause, le danger avéré d’une crise financière outre-Atlantique. Le ratio entre la capitalisation boursière et le PIB des États-Unis, un instrument de mesure élaboré par Warren Buffett en 2001 lors de l’effondrement du Nasdaq, vient de franchir un seuil critique. Fin juin, il s’élevait à 130%. Alors qu’à l’été 2007, la bulle des subprimes éclatait, la valeur totale des instruments financiers à Wall Street représentait 137% du PIB états-unien. Bien sûr, un indicateur considéré isolément ne permet jamais de discerner de façon indiscutable les évolutions potentielles des marchés mais on ne rétorquera pas trop vite que « cette fois, le contexte est différent ».
Il est, en effet, difficile de soutenir que les investisseurs sortiront forcément à temps de la bulle pour procéder à la réallocation de leurs portefeuilles dans la mesure où précisément, les alternatives font défaut. Ces dernières années, les cours ont été principalement tirés vers le haut en raison de l’attrait pour les valeurs numériques. De ce point de vue, la baisse drastique des taux décidée suite à la pandémie n’a fait qu’attiser cet appétit. Lorsque la survalorisation de cette catégorie de titres deviendra intenable, la poule aux œufs d’or sera morte et il sera compliqué de se déporter vers des valeurs classiques. C’est que les actions des secteurs traditionnels ont déjà largement intégré le rebond de 2021 après avoir, somme toute, peu souffert l’an dernier. A l’époque, l’action non-conventionnelle de la Fed leur avait, au demeurant, évité de connaître un plongeon trop marqué. Voilà sans doute pourquoi dans son rapport sur la stabilité financière de mai, la banque centrale américaine n’y allait pas par quatre chemins en s’étonnant du « niveau élevé de certains actifs par rapport aux normes historiques » avant de préciser que « dans ce contexte, les cours peuvent être vulnérables en cas de baisse de l’appétit pour le risque ». On ne saurait être plus explicite. Bref, la question n’est finalement pas de savoir si une déflagration financière va frapper les Etats-Unis mais davantage quand elle surviendra.
Etant donné le niveau actuel de ses taux nominaux, il ne restera sans doute plus à la Fed qu’à se diriger en territoire négatif. Les marges de manœuvre de l’Administration Biden face à Pékin se réduiront alors sensiblement. On ne peut, à ce sujet, que souligner l’importance des achats de bons du Trésor américain par la Chine. Cette dernière possédait pour près de 1.100 milliards de dollars de dette publique US fin avril. La Banque populaire de Chine est, avec le temps, devenue le troisième détenteur étatique de la dette des Etats-Unis, derrière la Fed et à un cheveu de la Banque du Japon. En cas de krach, il s’agit d’un soutien dont Washington ne peut raisonnablement se passer. De leur côté, les autorités chinoises œuvrent, certes, à une dédollarisation de leurs actifs mais n’envisagent cette perspective que sur le long terme et de manière très progressive. Il est vrai qu’une réduction trop brutale par la Chine de son exposition au billet vert se traduirait mécaniquement par une diminution du pouvoir d’achat de ses réserves de change. Il est toujours loisible d’objecter que la dégradation des relations sino-américaines s’explique avant tout par des motifs politiques et des divergences de valeurs. Ce serait peut-être ignorer que « que les hommes s’attachent aussi fortement par les services qu’ils rendent que par ceux qu’ils reçoivent » (Machiavel).