Le bicamérisme économique et les firmes creuses
Le succès rencontré par la tribune « «Il faut démocratiser l’entreprise pour dépolluer la planète » (texte diffusé largement à l’initiative de Julie Battilana, Isabelle Ferreras et Dominique Méda) a permis, et ce n’est pas un mince acquis, de repolitiser les questions du travail et de l’entreprise. Revaloriser la capacité des travailleurs à administrer collectivement leur cadre de travail s’avère, par les temps qui courent, porteur d’une appréciable charge subversive. La démocratie s’arrête encore trop souvent aux portes des entreprises, tout comme des média, des prisons, des maisons de retraite et de l’institution scolaire. Mais la mondialisation néolibérale a favorisé la naissance de « firmes creuses » qui conçoivent et vendent des marchandises dont elles détiennent la marque mais ne fabriquent plus rien. Les firmes creuses affirment leur centralité en se focalisant sur la R&D et le marketing. Leur émergence constitue, de ce point de vue, l’aboutissement de la logique de fonctionnement de la firme-réseau. Ce modèle s’est généralisé à la faveur de la mondialisation néolibérale (qui n’a rien d’irréversible comme nous le verrons par la suite). C’est ainsi que le prix Nobel d’économie Paul Krugman discernait, il y a une génération déjà, un mouvement permanent de recomposition des chaînes de valeur à l’échelle mondiale en fonction des objectifs de maximisation du profit des firmes centrales. Sachant que l’enjeu du débat porte sur des subjectivités écrasées (par exemple, le travail des enfants) suite au déploiement du capital du Nord au sein d’anciennes colonies, il n’est pas inutile de déployer à un effort de théorisation afin de discerner l’apport potentiel du bicamérisme économique pour les sous-traitants des firmes creuses. Au total, on s’aperçoit que si le bicamérisme économique était instauré au sein d’une firme creuse, les surcoûts résultant du fait de répondre favorablement aux revendications des travailleurs du Nord s’accompagneraient inévitablement d’un durcissement des rapports contractuels au détriment des sous-traitants du Sud. L’adoption du bicamérisme économique correspondrait, en effet, pour la firme creuse à une mise sous pression de la part des marchés financiers.