Marx, à mesure-26: Grundrisse (2) – Le chapitre de l’argent

Marx, à mesure9 juin 2020

« Le chapitre de l’argent » du manuscrit des Grundrisse se compose de quatre parties, ainsi intitulées
:
1. Alfred Darimon : De la Réforme des banques, Paris 1856
2. Genèse et essence de l’argent
3. Les métaux précieux en tant que porteurs du rapport monétaire
3.1. L’or et l’argent par rapport aux autres métaux
3.2. Fluctuation du rapport de valeur entre les différents métaux
4. Le cours de la monnaie
4.1. L’argent comme mesure des valeurs
4.2. L’argent comme moyen de circulation
4.3. L’argent comme représentant matériel de la richesse (Amassement de l’argent ; auparavant encore
l’argent comme matière universelle des contrats, etc.)
L’ensemble occupe les pages 49-178 du premier tome de l’édition de 1980 des Manuscrits de 1857-
1858, (« Grundrisse ») aux Editions sociales, laquelle sera notre référence1.
*
Il convient de redire d’emblée les observations que nous avons faites pour l’introduction de 18572.
Il s’agit, en effet, avec le manuscrit des Grundrisse, d’un écrit de recherche qui n’a pas été relu pour
sa publication. Si le style est correctement phrasé, son allure cursive montre que Marx écrit pour se
comprendre. La plume est manifestement emportée par séquences qui souvent se répètent et qui dérogent
surtout à une présentation méthodique des catégories mobilisées pour l’analyse. La différence est
très sensible sous cette vue avec les écrits qui aboutiront à une publication, notamment avec le texte
immédiatement postérieur de la Contribution à la critique de l’économie politique de 1859 qui reprend
ces analyses avec un plus grand soin de clarté3.
*
On peut envisager trois raisons pour lesquelles le volume des Grundrisse débute par ce chapitre sur
l’argent.
1. Il y a une raison circonstancielle. C’est la prégnance de la crise bancaire de 1857 qui remet Marx au
travail comme l’indique, parmi d’autres témoignages, ce propos à l’adresse de Ferdinand Lassalle dans
sa lettre du 21 décembre 1857 : « La crise commerciale actuelle, lui écrit-il, m’a incité à me consacrer
sérieusement à l’élaboration de mes Traits fondamentaux de l’Économie politique4 et à préparer aussi
quelque chose sur la crise actuelle5. ». Cette analyse est un thème récurrent des articles qu’il adresse au
cours de cette période au New York Daily Tribune, avec, outre la dénonciation des aspects boursicoteurs
de la crise, une lucide critique des formes prises par le système bancaire de type nouveau. En contraste
avec ses analyses de l’aristocratie financière dans Les luttes de classes en France, une aristocratie financière
qu’il associait à cette époque au lumpenprolétariat6, Marx prend la mesure d’un capital financier

d’une tout autre envergure et concentre désormais son attention sur la forme monétaire de la crise dans
le cadre du marché capitaliste mondial1.
2. Il y a une raison théorique. Elle consiste dans l’analyse de la marchandise et de l’expression monétaire
de la valeur. C’est ainsi que commencera la Contribution de 1859 et c’est ainsi que commencera Le
Capital. On est dans l’ordre des bases théoriques du système marchand sous la juridiction du capital.
C’est à partir de l’argent que Marx commence l’analyse du capital dans toutes ses dimensions.
3. On peut ajouter une troisième raison : elle est d’ordre politique. Elle vise à déconsidérer les proudhoniens
sur la question des bons de travail2. Marx estime, en effet, de première importance de critiquer
l’idée selon laquelle « la solution du problème social », pour reprendre une expression de Proudhon3,
passe par la réforme de la seule distribution et du crédit. Sa critique de Darimon aboutira à l’affirmation
du nécessaire maintien de la monnaie comme mesure étalon du travail abstrait. Une donnée indépassable
en quelque sorte du capitalisme.
*
Nous nous sommes efforcés, à notre manière, d’assurer au mieux la lisibilité de ces pages en respectant,
malgré les redites et quelquefois des obscurités, la continuité du raisonnement dans les extraits choisis.
Ce souci de clarté nous a conduits à écarter, fût-ce provisoirement, des commentaires qui risquaient
d’être quelque peu invasifs en raison de l’abondante littérature critique qui leur est associée.
Ce sont en particulier les multiples gloses et exégèses sur la question des rapports de Marx avec Hegel
dans la rédaction de ce manuscrit. La question n’est certes pas futile, mais la difficulté qu’elle représente,
en raison notamment de l’érudition philosophique qu’elle exige, nous a paru surdimensionnée par
rapport aux références hégéliennes dont la présence comme telles dans cet écrit n’entrave pas la compréhension.
Nous avons donc maintenu notre prudence d’approche de ces questions délicates sur lesquelles
il faudra certes revenir à un moment opportun pour apprécier ce qui, dans ses rapports avec
Hegel, relève chez Marx d’une effective inspiration, disons, ou, le plus souvent, de simples emprunts
rhétoriques.
Ce sont aussi les nombreux développements qui ont accompagné dans la littérature théorique contemporaine
la conception de la valeur selon Marx. Ces questions sont importantes, et nous y reviendrons.
Avec méthode.
*
Enfin le cahier des Tranches de vie concerne, cette fois, l’année 1858.

1 Il convient toutefois, pour être précis, d’y ajouter deux chapitres intitulés 1. « L’argent comme mesure
des valeurs » et 2. « L’argent comme moyen de communication et comme valeur autonome » qui se
trouvent intégrés à la troisième section du « chapitre du capital » (pp. 279-309 du second tome de
l’édition mentionnée des Grundrisse).
2 Référence à notre fascicule 23, en particulier au chapitre 2 « Les Grundrisse, histoire d’un manuscrit ».
3 Observons que ce « chapitre de l’argent » des Grundrisse sera le seul à faire l’objet d’une récriture par
la Contribution de 1859.
4 Autrement dit aux Grundrisse.
5 C5, p. 91.
6 Pour rappel, ce jugement de 1850 : « L’aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans ses
jouissances, n’est pas autre chose que la résurrection du lumpenprolétariat dans les sommets de la
société bourgeoise. ». (Nous renvoyons sur ce point au chapitre 2.2. de notre fascicule 16)

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