Marx, à mesure-33: Herr Vogt
La rédaction de son Herr Vogt va mobiliser toute l’énergie de Marx pendant plus d’un an : de juin 1859, lorsqu’il prend connaissance de l’article publié par Carl Vogt dans le Schweizer Handels-Courier de Bienne, jusque la fin novembre 1860, lorsque parait son ouvrage.
Ses travaux théoriques sont à l’arrêt.
Cette controverse présente deux aspects, l’un politique, certes, et l’autre très personnel en raison des propos injurieux tenus par Carl Vogt à son égard.
La dimension politique du débat concerne l’hostilité de Marx envers le bonapartisme et le tsarisme.
Or la double parution, d’abord en mars 1859, de la brochure de Vogt « Studien zur gegenwärtigen Lage Europas » puis, en mai 1859, de l’article d’Elard Biskamp dans Das Volk, « Le régent de l’empire comme traitre à l’empire » vont le convaincre qu’il a bien affaire, en la personne de Vogt, à un agent stipendié par le pouvoir impérial français, une conviction qui sera confirmée plus tard par la découverte, en 1870, après la chute de Second Empire, des documents d’archives attestant que Vogt a bien reçu, en août 1859, la somme de 40.000 francs sur les fonds secrets du gouvernement français[1].
La dimension personnelle du débat concerne les affirmations calomnieuses de Vogt à son adresse, l’accusant d’être, à Londres, le chef d’une bande de maîtres chanteurs, dite la Schwefelbande, tout occupée de prélever des crédits aux dépens de militants qu’elle menace de dénoncer à la police prussienne.
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L’ouvrage de Marx n’est pas d’une lecture aisée.
La principale difficulté réside dans la complexité des événements, anecdotiques, souvent, qui sont évoqués. Nous recommandons, sous cet aspect, de garder à vue, au cours de la lecture, le premier chapitre que nous avons consacré à l’histoire du manuscrit. Il sera, nous l’espérons, d’une aide utile[2].
L’autre peine ne réside pas moins dans le style même de l’auteur qui, outre les jeux de mots, abonde en références culturelles, de Platon à Shakespeare, de Dante à Schiller, et d’autres, à foison.
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Nous citons à partir de l’unique traduction française de l’ouvrage de Marx par Jules Molitor, « Œuvres complètes de Marx », Editions Alfred Costes, Paris 1927 en trois volumes.
Les notes sont pour la plupart extraites de l’édition allemande (Marx Engels Werke, vol. 14) et anglaise (Marx Engels Collected Works, vol.17) vérifiées et complétées par nos soins en référence aux encyclopédies Wikipédia et Universalis.
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L’ouvrage de Carl Vogt « Mein Prozess gegen die Allgemeine Zeitung. Stenographischer Bericht, Dokumente und Erläuterungen. Genf, im December 1859 » est accessible en ligne (en allemand) sur le site de Google Play Livres.
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Nos abréviations :
– C, suivi du numéro de volume : Marx Engels Correspondance, Editions sociales.
– MECW : Marx Engels Collected Works.
– MEW : Marx Engels Werke.
L’ouvrage de Carl Vogt est référencé par Marx sous la mention « Hauptbuch ».
[1] Papier et correspondance de la famille impériale, Paris 1870, tome 2, p. 161. (En ligne sur Google Livres). Selon Jaques Grandjonc, une somme quasi équivalente lui avait été remise en mars de la même année : « le total des deux versements, écrit-il, équivaut alors à la bagatelle de dix années de traitement. » (Jacques Grandjonc, « Les implications de l’affaire Vogt », article paru, page 76, dans l’ouvrage collectif Carl Vogt, science, philosophie et politique (1817-1895) aux éditions Georg, Chêne-Bourg, 1998, sous la direction de Jean-Claude Pont, Daniele Bui, Françoise Dubosson et Jan Lacki.
[2] Dans sa lettre du 5 décembre 1860, Engels regrettera que Marx ait omis de placer un résumé à la fin de chaque chapitre : « ça n’aurait fait que quatre pages de plus et aurait été d’un bel effet dans le livre où la documentation ainsi que la masse des noms plus ou moins inconnus du petit-bourgeois sont un peu écrasantes; en même temps, cela aurait mieux fait ressortir l’art de la composition qui est très réussi. » (C6, p. 239).