Marx, à mesure- 37: K. Marx, Salaire, prix et profit.

Marx, à mesure20 novembre 2023

La brochure de Marx connue sous le titre Salaire, prix et profit résulte d’une controverse au sein du Conseil central de la Première Internationale.

 

Le 4 avril 1865, John Weston, owéniste[1] de conviction, propose au Conseil central d’engager un débat sur deux questions fondamentales : 1. la situation sociale et matérielle de la classe ouvrière dans son ensemble peut elle s’améliorer par suite d’une hausse de salaires ?, et 2 : Les efforts des syndicats en vue d’obtenir une hausse des salaires n’ont-ils pas un effet néfaste pour ce qui est des autres secteurs de l’industrie ? Il annonce qu’il défendra une réponse négative à la première question, et une réponse positive à la seconde[2].

 

John Weston prononcera son exposé les 2 et 23 mai 1865.

 

Marx signale l’événement à Engels dans sa lettre du 20 mai 1865 :

 

« Ce soir, séance extraordinaire de l’International. Un bon vieux type, ancien partisan d’Owen, Weston (charpentier de son état) a émis les deux propositions qu’il défend constamment dans le Bee-Hive : 1. Qu’une hausse générale des salaires ne servirait de rien aux ouvriers. 2. Que, pour cette raison entre autres, les syndicats ont une action néfaste.  Si ces deux thèses, auxquelles il est le seul à croire dans notre société, étaient adoptées, nous serions dans de beaux draps, tant à cause des Trades-Unions d’ici que de l’épidémie de grèves qui sévit à présent sur le continent.

 

A cette occasion, il sera soutenu – cette séance étant également ouverte aux non membres – par un Anglais de naissance qui a écrit une brochure dans le même esprit. On s’attend naturellement à une réfutation de ma part. J’aurais dû préparer soigneusement ma réplique pour ce soir, mais j’ai estimé qu’il était plus important de continuer à travailler mon livre[3] et il faudra m’en remettre à l’improvisation.

 

Bien entendu, je connais d’avance les deux points essentiels :

 

  1. Que le salaire détermine la valeur des marchandises;
  2. Que si les capitalistes paient aujourd’hui 5 sh. au lieu de 4, ils vendront demain (mis en mesure de le faire en raison de l’accroissement de la demande) leurs marchandises pour 5 sh. au lieu de 4.

 

Ceci a beau être banal et ne toucher que l’aspect le plus superficiel du phénomène, il n’en reste pas moins qu’il n’est guère facile d’exposer à des ignorants toutes les questions économiques qui agissent concurremment dans ce cas. On ne peut condenser tout un cours d’économie politique en une heure. Nous ferons de notre mieux[4]. ».

 

La séance extraordinaire du Conseil central convoquée pour débattre des questions de Weston se tint le 20 mai 1860 au soir.

 

Marx exposera sa réplique dès les 20[5] et 27 juin[6] 1865.

 

Il le signale à Engels dans sa lettre du 24 juin 1865 :

 

« Au Conseil central, j’ai lu un exposé (ce qui ferait peut-être deux placards une fois imprimé) sur la question qui a été soulevée par M. Weston : à savoir quels seraient les effets d’une hausse générale des salaires. La première partie de cette intervention est une réponse à l’insanité de Weston; la deuxième une discussion théorique, dans la mesure où l’occasion le permettait.

 

Et voici qu’on veut maintenant faire imprimer cette intervention. D’une part cette publication me serait peut-être utile, car ces gens sont en rapport avec J. St. Mill[7], le professeur Beesly, Harrison[8], etc. Mais, d’autre part, j’ai des scrupules.

 

  1. Car avoir pour adversaire « M. Weston » n’est pas très flatteur.
  2. Cette intervention, dans sa deuxième partie, contient sous une forme extrêmement concise mais relativement accessible au grand public, beaucoup de nouveautés qui sont une anticipation de mon livre, mais d’un autre côté, j’ai dû passer nécessairement très vite sur toutes sortes de choses. Je me demande s’il est opportun d’anticiper de cette manière sur le sujet. Je pense que sur ce point tu es mieux placé que moi pour décider, parce que tu considères la situation de loin, avec plus de sérénité[9]. ».

 

Engels ne tardera pas à conforter ses scrupules à publier son exposé. Le 15 juillet 65, il lui répond :

 

« Je ne crois que tu récolterais beaucoup de lauriers dans une polémique contre Mr Weston et, pour un début en Angleterre dans le domaine de l’économie politique, ce ne serait certainement pas bon[10]. ».

 

Marx suivra son conseil et se gardera de publier ces pages.

 

L’ouvrage ne sera publié qu’en 1898 par les soins de sa fille Eleanor sous le titre Valeur, prix et profit.

 

 

*

 

Citons, parmi les éditions disponibles :

 

 

– Marx, Salaire, prix et profit, Éditions du Progrès, Moscou, 1978.

– Karl Marx, Travail salarié et Capital. Salaire, prix et profit, Messidor/Editions sociales, Coll. « Essentiel », Paris 1985.

– Maximilien Rubel, Salaire, prix et plus-value[11], pp. 475-533 de l’édition Karl Marx, Œuvres, Economie I, Bibliothèque de la Pléiade, Paris 1965.

 

L’ouvrage est disponible sur le site internet

 

– de fr.wikisource.org (qui reproduit la traduction de Charles Longuet sous le titre « Salaires, prix, profits[12] »)

 

– et de www.marxists.org.

 

Nous citons à partir de cette dernière édition qui reproduit la version publiée par les Editions du Progrès.

 

 

[1] Sur Robert Owen, nous renvoyons aux pages de notre fascicule 11 consacré au chartisme (en particulier au chapitre 4 « Protagonistes »).

[2] Le Conseil général de la Première Internationale, Editions du Progrès, Moscou 1972, op.cit., p. 69.

[3] Le Capital, dont Marx termine la rédaction.

[4] C8, pp. 132-133.

[5] Le compte rendu de cette séance du 20 juin note : « Le citoyen Marx donne alors lecture d’une partie de son exposé en réponse aux propositions du citoyen Weston sur la question des salaires. Le citoyen Weston estime que dans la partie du texte lu par le citoyen Marx, rien n’a été avancé ni prouvé qui affecte en aucune manière les principes affirmés par lui. Le citoyen Cremer estime que le citoyen Marx a présenté deux ou trois illustrations ou plutôt faits pratiques qui ruinent complètement les thèses affirmées par le citoyen Weston. La question est ajournée au 27 juin à 9 heures. Le citoyen Marx lira, à cette séance, la dernière partie de son exposé et proposera certaines contre-résolutions. » (Le Conseil général de la Première Internationale, Editions du Progrès, Moscou 1972, op.cit., p. 88).

[6] Le compte rendu de cette séance du 27 juin note : « Le citoyen Marx, après avoir récapitulé les points principaux de la première partie de son exposé lu à la séance précédente, passa à la lecture de la suite. Le citoyen Cremer conclut en disant que nombreux sont ceux qui souhaiteraient voir imprimer les deux exposés, celui du citoyen Weston et la réponse du citoyen Marx, mais qu’il ne savait guère comment faire face aux frais ». (Le Conseil général de la Première Internationale, Editions du Progrès, Moscou 1972, op.cit., p. 89).

[7] L’économiste anglais John Stuart Mill.

[8] Frederic Harrison, juriste et historien anglais.

[9] C8, pp. 134-135.

[10] C8, p. 141.

[11] « Plus-value », notons-le, à la place de « profit ».

[12] Au pluriel.

 

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